Mécénat d’entreprise, la vogue du partage

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Les entreprises qui font du mécénat sont performantes ; elles ont compris qu’elles ne peuvent pas rester centrées sur elles-mêmes

Pour la première fois depuis 2008, le nombre d’entreprises mécènes repart à la hausse. Ce type de solidarité séduit de plus en plus les PME, lesquelles sont bien conscientes du retour sur investissement : des collaborateurs pratiquant le mécénat de compétence plus motivés et efficaces, la constitution de nouveaux réseaux avec des acteurs locaux et, bien entendu, des bénéfices en matière de communication interne et externe. Toutefois, une politique efficace de mécénat ne s’improvise pas et de bonnes pratiques doivent être observées.


Publié le Christophe Morel sur le site du Nouvel économiste.fr

En argent, en temps, en compétences

La part des entreprises mécènes augmente pour la première fois depuis 2008. La France en compte environ 170 000, soit 14 % de leur nombre total, contre 12 % il y a deux ans. Quelles sont les entreprises concernées et pour quels types d’actions ?

L’appétence pour le mécénat est proportionnelle à la taille de l’entreprise. La moitié des grandes sociétés a développé une politique active dans ce domaine, tandis que la proportion est de 25 % pour les PME et autour de 12 % pour les très petites entreprises (TPE). Cette tendance positive devrait se poursuivre en 2016. “Nous constatons une progression sensible de l’intérêt des entreprises pour les initiatives d’intérêt général, alors que nous nous trouvons encore dans une période difficile avec des entreprises qui ont plutôt tendance à couper dans leur budget”, assure Charlotte Dekoker, déléguée générale d’Admical, une association représentant les entreprises mécènes.

La fiscalité du mécénat, incitatrice, est demeurée la même depuis 2003. L’entreprise peut défiscaliser 60 % de la somme de son mécénat en les déduisant du montant de l’impôt, dans la limite de 0,5 % de son chiffre d’affaires. Le dirigeant ne se transformera certes pas en bienfaiteur pour ces seules raisons, mais sera tenté de donner davantage.

Par ailleurs, 80 % des entreprises exercent leur mécénat sous forme financière, alors que d’autres possibilités existent. Les PME offrent souvent des dons en nature sous forme de produits qu’elles fabriquent ou possèdent, comme des ordinateurs ou des véhicules de fonction.

La percée du mécénat de compétence

Un autre type d’action également prisé par les PME, le mécénat de compétence, peut s’exercer sous la forme de missions qui correspondent aux qualifications professionnelles du collaborateur. Un expert-comptable aidera une association à faire sa comptabilité, une équipe de consultants travaillera avec une association pour créer ou reformuler son business plan, etc. Les compétences humaines peuvent également être mises à contribution avec, par exemple, une équipe de salariés qui aide à distribuer des repas aux Restos du cœur ou à nettoyer une plage.

“Au sein d’une PME, l’absence d’un salarié pratiquant le mécénat de compétence durant une semaine peut se ressentir assez fortement. Dès lors, ce dernier va plutôt prendre une heure par jour pour travailler sur une mission depuis sa propre entreprise”, poursuit Charlotte Dekoker.

Comment cela fonctionne-t-il concrètement ? La Fondation Visio, qui œuvre pour les déficients visuels, travaille avec un cabinet d’ingénierie, AC Tech, une PME locale à l’origine d’une étude sur le harnais du chien guide. Cette PME a pratiqué pour partie le mécénat de compétence, offrant du temps de travail de ses collaborateurs. Pour l’entreprise, cette prestation est valorisée afin qu’elle puisse opérer une déduction sur son impôt sur les sociétés. “Notre objectif est de favoriser le rayonnement économique local en se rapprochant des PME pour leur proposer de nous accompagner soit par du mécénat financier, soit par le biais du mécénat de compétence”, explique Pascale Humbert, responsable du mécénat de la Fondation Visio.

À travers sa fondation d’entreprise, Accenture fait également du mécénat de compétence qui représente chaque année 5 000 jours/homme. Ce temps de travail des collaborateurs est payé par l’entreprise. Il s’organise sous forme de missions au profit d’une vingtaine d’associations partenaires comme Passeport RH ou Emmaüs. “Nous aidons ces associations à mieux s’organiser, ou à changer d’échelle. En complément, nous leur offrons un soutien financier représentant environ 20 % de l’effort global de notre mécénat”, précise Bernard Le Masson, président de la Fondation Accenture.

Retours d’image et de performance

Le mécénat répond à un certain nombre d’enjeux importants pour l’entreprise, particulièrement pour les PME. Cette forme de solidarité constitue un véritable outil de mobilisation pour les ressources humaines. Sa pratique permet aussi une vraie ouverture aux entreprises et à leurs salariés vers d’autres acteurs de la collectivité, sur des univers qu’ils ne connaissaient pas. L’influence est positive sur le rapport au travail. “90 % des collaborateurs qui ont exercé du mécénat souhaitent en faire davantage. Ce critère d’épanouissement personnel des collaborateurs est, par ricochet, positif pour l’entreprise dans la durée. Ce cercle vertueux enrichit toutes les parties prenantes”, précise Bernard Le Masson, président de la Fondation Accenture.

Les PME agissent principalement sur leur territoire et peuvent en retirer des bénéfices, comme en matière de réseaux. Via le projet Prisme, à Reims, plusieurs d’entre elles se sont regroupées pour acheter des œuvres d’art et en faire bénéficier la collectivité. Autre exemple : un groupement de PME a réussi à créer une fondation dont l’objectif est de valoriser le territoire de l’Anjou. Les entrepreneurs se retrouvent entre eux et tissent des liens ; ils contribuent à l’attractivité de leur territoire et croisent des personnes qu’ils n’auraient pas été amenés à rencontrer. Par ailleurs, en se frottant à des populations locales différentes, l’entreprise s’enrichit d’une certaine forme de créativité. Elle veille par ce biais sur ce qui se passe au sein de la société et détecte les problèmes, ainsi que certaines tendances.

Donner du sens à son métier

Comme le souligne Charlotte Dekoker, l’implication des cadres dirigeants est essentielle. “Ils doivent être conscients de l’apport de la pratique du mécénat effectué par leurs salariés à l’entreprise en matière de qualité de vie et soutenir véritablement les initiatives, pas forcément en le pratiquant eux-mêmes. Les cadres dirigeants et dirigeants de PME ont souvent des types d’engagement plus personnel, souvent moins par le biais de leur entreprise”, explique-t-elle.

Une récente enquête américaine a établi clairement une corrélation entre les performances de l’entreprise et son implication dans une politique de mécénat. “Plus elle est développée, plus l’entreprise est en croissance. Les entreprises qui font du mécénat sont performantes ; elles ont compris qu’elles ne peuvent pas rester centrées sur elles-mêmes”, explique Charlotte Dekoker.

Le mécénat permet aussi d’attirer les talents, en particulier au sein de la génération Y, en demande d’implication sur des thématiques autres que l’entreprise. Ces personnes souhaitent donner du sens à leur vie professionnelle. Au moment du recrutement, certaines entreprises mettent véritablement en avant leur politique dans ce domaine afin de les attirer.

Une aventure humaine

Au travers du mécénat de compétence, la motivation première des salariés est une logique d’engagement au profit de l’intérêt général. Ces derniers souhaitent d’abord donner du sens à leur travail

Les collaborateurs engagés dans une démarche de mécénat découvrent a posteriori la richesse des rencontres et un lien social différent. “Ils n’imaginent pas au départ à quel point ce peut être enrichissant. Comme dans toutes les logiques d’engagement, ils reçoivent énormément. Beaucoup de nos collaborateurs les plus performants sont aussi ceux qui font des actions de mécénat, ce qui mérite d’être souligné”, note Bernard Le Masson, président de la Fondation Accenture.
L’entreprise peut ainsi combler un manque de valeur ressenti par certains salariés en leur proposant de s’engager auprès d’associations. Cette activité débouche souvent sur du bénévolat exercé par le salarié en dehors de son temps de travail, permettant à l’entreprise d’aider le salarié à s’engager.

Pascale Humbert met en avant la richesse des rencontres entre les salariés de la PME mécène et les collaborateurs de sa fondation. “Nous sommes au sein de deux univers différents. Dès lors, les rencontres sont extrêmement riches et motivantes pour tout le monde. Les collaborateurs de la PME vont s’impliquer dans des projets très concrets et humanistes, destinés à aider des personnes handicapées venant régulièrement au sein de la fondation. Sur le plan humain, c’est extrêmement riche en expériences et en échanges communs”, assure-t-elle.

Une rencontre à préparer

Toutefois, le mécénat de compétence ne s’improvise pas ; des prérequis sont nécessaires afin que la démarche aboutisse pour les deux parties. Les collaborateurs doivent être un minimum préparés et sensibilisés au fonctionnement d’une association. Un travail en amont est vivement recommandé avant que le salarié ne commence sa mission.

Au sein de l’établissement, il est important d’avoir un salarié référent, bien souvent le chef d’entreprise lui-même dans les PME. De son côté, l’entreprise doit définir précisément ses objectifs. S’agit-il d’abord d’un enjeu en termes de ressources humaines, ou de la volonté de tisser des liens sur un territoire ?
Afin d’établir une relation pérenne, l’association bénéficiaire se doit d’être proactive. À titre d’exemple, la Fondation Visio met un point d’honneur à établir chaque année un “état des lieux” pour expliquer à quelle étape du développement du projet elle se trouve. “Nous privilégions les partenariats avec les entreprises mécènes sur des projets opérationnels à court ou moyen terme afin qu’elles puissent rapidement voir les résultats de leur investissement”, reprend Pascale Humbert.

Fréquemment, les associations démarchent elles-mêmes les entreprises, et les relations ne sont pas forcément simples au départ. “Nous formons les associations pour qu’elles abordent au mieux leur relation avec l’entreprise, explique Charlotte Dekoker, déléguée générale d’Admical. Au sein des associations, les bénévoles sont souvent passionnés, mais avec une culture différente de celle de l’entreprise. La présence d’une personne au sein de l’association habituée au monde de l’entreprise possédant certaines compétences en termes de communication et de négociation, est essentielle. Celle-ci doit par exemple savoir pitcher un projet en deux minutes.”

Association et entreprise, deux cultures à marier
Dans le cadre du mécénat d’entreprise, le choix des associations est primordial, nécessitant la définition de critères de sélection. L’entreprise doit se montrer vigilante sur la santé financière et le sérieux de l’association. Dans certains cas, le processus démarre de façon quelque peu artisanale, mais se professionnalise et se structure par la suite. La relation devra être cadrée, notamment par le biais d’une convention de mécénat, laquelle précisera quels sont les retours attendus en termes d’information ou les modalités d’implication des collaborateurs. “Notre objectif est de s’accorder sur des partenariats d’une durée minimale de trois années, ce qui laisse le temps d’apprendre à se connaître et chaque année d’aller un peu plus loin”, précise Pascale Humbert, responsable du mécénat de la Fondation Visio.
En France, le mécénat représente 3,5 Mde par an. Ce montant global équivaut à 0,17 % du PIB en France, contre 0,1 % aux États-Unis.
Par ailleurs, plus de 80 % des entreprises souhaitent poursuivre l’année qui vient leur engagement dans le domaine du mécénat, voire l’augmenter.
 

 

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