Mécénat d’entreprise et retour sur générosité


le-nouvel-economisteFondations et Fonds de dotation : Deux outils juridiques distincts.

L’évaluation de l’utilité et de l’efficacité des actions de mécénat se généralise dans les entreprises. Question d’image et d’efficience.
Malgré les contingences économiques, les entreprises françaises continuent à consacrer, par l’intermédiaire de leurs fondations, des sommes importantes au soutien de nombreuses actions à caractère social, culturel ou caritatif conduites sur l’ensemble du territoire français. Outre les exonérations fiscales prévues par la loi Aillagon relative au mécénat d’entreprise, elles en attendent des retombées significatives tant en termes d’image que de notoriété. D’où une tendance de plus en plus affirmée à procéder régulièrement à une évaluation détaillée de l’utilité et de l’efficacité des sommes investies.

Un article de Didier Willot paru le 16 avril 2015 dans le Nouvel économiste 

’est un peu une surprise : le nombre de fondations et de fonds de dotation créés à l’initiative des entreprises françaises n’a pratiquement pas cessé de progresser au cours des dernières années. Malgré les difficultés économiques, la plupart des dirigeants ont donc continué à manifester une volonté forte de s’engager, et d’engager avec eux un nombre important de leurs collaborateurs, au service de projets d’intérêt général. Telle est la conclusion essentielle de la dernière étude bi-annuelle sur ce sujet, réalisée conjointement en 2014 par le cabinet d’audit EY et l’association IMS-Entreprendre pour la Cité.

Intitulée ‘Panorama des fondations et fonds de dotation créés par des entreprises’ et présentée officiellement à la presse le 25 septembre 2014, elle montre que les entreprises occupent aujourd’hui une place de premier plan dans le paysage philanthropique français, avec un total de l’ordre de 500 fondations ou fonds de dotation recensés. Autre enseignement important de l’étude : ces fondations, à l’image de toutes celles qui recourent à l’épargne publique, font aujourd’hui preuve d’un véritable professionnalisme. “Afin d’accroître leur légitimité aux yeux de leurs entreprises mères, assure Marie Brunagel, directrice de mission, chargée de l’évaluation pour le secteur public et les associations chez EY, plus de deux structures interrogées sur trois affirment, par exemple, avoir mis en place une démarche d’évaluation de l’utilité et de l’efficacité de leurs engagements financiers.”

Histoire du décollage

Même si le dispositif existe dans le droit français depuis 1987, c’est surtout le vote de la loi du 1er août 2003 – dite loi Aillagon – qui a instauré une véritable dynamique de la création des fondations dans notre pays. En s’inspirant d’un certain nombre de réformes mises en place quelques années plus tôt au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne, et en modifiant en profondeur la législation relative au mécénat dans notre pays, le ministre de la Culture de l’époque a définitivement convaincu un nombre important de chefs d’entreprise de soutenir, tant financièrement que matériellement, et “sans contrepartie directe, une structure ou un événement reconnu d’utilité publique et présentant un caractère d’intérêt général”.

Son argument principal : il consentait une exonération fiscale représentant 60 % du montant total des sommes investies, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires total. C’est alors que l’on a assisté régulièrement à la création de nouvelles fondations qui se sont mises à octroyer des aides significatives – des fonds, mais aussi des locaux, du matériel ou du personnel – à un très grand nombre d’organismes philanthropiques opérant dans des domaines aussi variés que le sport, la culture, la solidarité, la recherche ou la défense de l’environnement.

Puis est arrivée la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. En créant, à l’image des “endowment funds” anglo-saxons, le dispositif dit des fonds de dotation, ce texte a encore contribué à accélérer le mouvement. La raison ? “Essentiellement la souplesse et la simplicité de fonctionnement du système”, indiquait Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie et des Finances, en défendant son texte devant le Parlement. En effet, à la différence des fondations dont la création repose sur un cadre juridique relativement contraignant, les fonds de dotation peuvent être mis en place, comme une association, par simple déclaration à la préfecture, et surtout ils ne nécessitent pas la constitution préalable d’un capital important. Résultat : au cours des dernières années, on a assisté à la création d’un nombre important de fonds de dotation par les entreprises françaises. Selon les derniers chiffres disponibles, on en comptait à la fin de l’année 2014 près de 150 dont l’action philanthropique est venue s’ajouter à celle conduite par les quelque 350 fondations d’entreprises actuellement recensées.

C’est ainsi, par exemple que la fondation d’entreprise Somfy a créé un fonds de dotation baptisé Les Petites Pierres, dont la vocation est de soutenir les initiatives favorisant l’accès de tous à un logement décent. Historiquement en effet, Somfy est toujours intervenue dans des actions visant à soutenir l’amélioration du cadre de vie en général. Elle considère qu’il est de sa responsabilité d’entreprise citoyenne de s’engager auprès de ceux qui luttent, au quotidien, contre le mal-logement et en faveur d’un habitat décent. Bref, on constate qu’avec un effectif moyen de 2,5 personnes (dont 85 % de salariés “détachés”) au sein des fondations et des fonds de dotation créés à leur initiative, les entreprises françaises occupent aujourd’hui un rôle important en matière de soutien à des projets d’intérêt général mis en œuvre dans notre pays.

Au plus près de la maison mère

L’investissement est tel qu’il justifie sans aucun doute la démarche d’évaluation qui tend aujourd’hui à se répandre dans l’ensemble du secteur. “Si la forme et les modalités d’intervention des entreprises socialement responsables sont extrêmement variées, peut-on lire dans l’étude EY-IMS Entreprendre pour la cité, on note aujourd’hui un enjeu stratégique commun à l’ensemble des structures existantes : celui de l’évaluation. Elle porte aussi bien sur l’efficacité des structures elles-mêmes que sur l’utilité des projets soutenus.” Telle est la raison pour laquelle le contrôle des structures passe le plus souvent par un rattachement direct de la fondation ou du fonds de dotation opérationnel à la présidence ou la direction générale de l’entreprise créatrice, et par la mise à sa disposition de salariés détachés de la maison mère, soit totalement, soit à temps partiel.

“De cette façon, indique Christine de Longevialle, déléguée générale du fonds de dotation Solidarity Accor, qui a remplacé en 2013 la fondation créée en 2008 par le leader hôtelier mondial, afin de porter secours aux populations les plus précaires de tous les pays dans lesquels il est implanté, notre action ne peut que s’inscrire dans la stratégie globale de responsabilité sociale souhaitée par la gouvernance du groupe Accor.”

Outils et bilans de plus en plus élaborés

Mais l’essentiel reste la volonté de plus en plus affirmée des responsables de fondations de mettre en place des dispositifs destinés à mesurer l’utilité et l’efficacité des projets soutenus. Dans l’enquête réalisée l’an dernier par EY-IMS Entreprendre pour la Cité, 67 % d’entre eux disent avoir mis sur pied une démarche d’évaluation au sein de leur fondation. Cela commence généralement par l’élaboration de bilans réguliers des partenariats avec les organismes bénéficiaires. Ainsi, les responsables de la Fondation des monastères organisent régulièrement des réunions de suivi de l’affectation des fonds accordés chaque année aux communautés religieuses qui rencontrent des difficultés. “L’an dernier, assure Marie-Christine Avignon, responsable des secours, nous avons en effet consenti une aide totale de l’ordre de 3,6 millions d’euros à une bonne centaine de communautés monastiques ou apostoliques de notre pays.”

On constate désormais une tendance à la mise en place d’outils de décision et de suivi de plus en plus sophistiqués. C’est ainsi que la Fondation pour la recherche médicale, qui soutient chaque année plus de 450 projets nouveaux pour un montant financier global de l’ordre de 20 millions d’euros, a mis en place une grille précise d’instruction des dossiers qui lui sont présentés. “Elle a été conçue, assure Valérie Lemarchandel, directrice des affaires scientifiques, de manière à permettre à notre conseil scientifique d’apprécier la qualité des chercheurs concernés et de déceler les projets les plus porteurs.”

Dans la même optique, la fondation organise régulièrement des sessions de suivi de l’avancement des projets qu’elle a accepté de financer. Même démarche à la fondation Ose-Mémoire Enfance Solidarité qui, depuis sa création il y a un peu plus d’un siècle à Saint-Petersbourg, se propose d’aider les personnes de tous âges en difficulté sociale ou médicale. “Compte tenu de la grande diversité de nos actions, tant dans le domaine de la santé que du handicap ou de la dépendance, explique Martine Nataf, directrice du département dons, legs et mécénat de la Fondation Ose, nous sollicitons régulièrement l’avis des meilleurs spécialistes scientifiques pour nous aider à utiliser les fonds de nos donateurs de la manière la plus efficace.”

Évaluer ou développer ?

Nécessité de rendre des comptes aux donateurs ou de justifier les moyens mis à leur disposition par les entreprises mères : la tendance des fondations et des fonds de dotation à évaluer l’utilité et l’efficacité de leurs actions constitue désormais une pratique courante. En offrant à leurs dirigeants la possibilité de mesurer l’impact réel des projets qu’ils soutiennent, elle leur permet non seulement d’améliorer le pilotage quotidien de leurs activités philanthropiques, mais aussi de mettre sur pied toutes les actions de communication qui les mettent en valeur. C’est ainsi que la moitié des fondations qui ont répondu par la négative à l’enquête EY-IMS indiquent qu’ils envisagent de le faire dans un délai rapproché. “Aujourd’hui, nous touchons à certaines limites de l’exercice : nous disposons de la plupart des données nécessaires à l’évaluation, mais nous manquons souvent de temps pour les consolider, les interpréter et les exploiter, conclut néanmoins Christine de Longevialle. Systématiser une telle démarche nécessite un investissement important que nous préférons souvent consacrer au développement de nos actions de mécénat.”

Fondations et fonds de dotation
Deux outils juridiques distincts
Pour mettre en œuvre leurs actions de mécénat, les entreprises disposent de deux outils spécifiques :
La fondation d’entreprise. Instituée par la loi du 4 juillet 1990, la fondation d’entreprise est une personne morale de droit privé dont la mission est d’accomplir une œuvre d’intérêt général à but non lucratif (c’est-à-dire “philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques”). Rattachée à la famille des structures de l’économie sociale, elle est créée par une entreprise qui peut lui donner son nom et qui effectue la mise de fonds initiale.Sa durée de vie est limitée à 5 ans, renouvelable pour une durée minimum de 3 ans. Son programme d’action doit être doté d’un montant minimum de 150 000 euros. Elle ne peut pas faire appel à la générosité du public, ni recevoir des dons ou des legs. Une fondation d’entreprise est gérée par un conseil d’administration composé pour les deux tiers de représentants de représentants de l’entreprise fondatrice, et pour un tiers de personnalités qualifiées dans les domaines d’intervention de la fondation. À noter que les entreprises peuvent aussi créer une fondation de type classique susceptible de bénéficier de la reconnaissance d’utilité publique.

Le fonds de dotation. Créé par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le fonds de dotation est également une structure à personnalité morale et à but non lucratif. Il peut être constitué, lui aussi, par une entreprise. Conçu avec la vocation de concilier la souplesse de l’association et le prestige de la fondation, il offre une grande simplicité de fonctionnement. Il fait l’objet d’une simple déclaration en préfecture et il peut être géré par un conseil d’administration de trois membres seulement. Enfin, un fonds de dotation peut recevoir des biens de toute nature, qu’il a le droit d’exploiter commercialement dès lors que les profits sont exclusivement affectés au financement de son activité d’intérêt général. La dotation initiale est fixée à un minimum de 15 000 euros.

Le modèle américain

Sur les quelque 150 000 fondations existant actuellement aux États-Unis, plus de 12 000 qui ont été créées à l’initiative des plus grandes entreprises du pays. Nombre d’entre elles ont vu le jour dès le début du XXe siècle avec le développement des premières sociétés industrielles. Parmi les plus importantes :

La fondation Rockefeller. Au cours de son histoire plus que séculaire, elle s’est investie aux États-Unis, mais aussi dans une cinquantaine de pays du monde entier. Ses domaines d’intervention : la santé publique, l’éducation médicale, l’innovation scientifique, les sciences sociales et la vie artistique. Elle a notamment porté devant l’opinion publique internationale la nécessité d’agir dans le domaine de l’hygiène, en créant la première école de santé publique à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, puis dans 20 autres pays. Elle a également financé des travaux de recherche sur la malaria et la fièvre jaune.

La fondation Ford. Créée en 1936 à Détroit, elle s’est tout d’abord investie localement avant de consentir dans les années 1950 et 1960 des aides substantielles à de nombreuses universités dans tout le pays. Puis, dans les années 1970 et 1980, elle s’est intéressée au développement artistique dans plusieurs grandes villes des États-Unis. Elle distribue chaque année environ 80 millions de dollars à de nombreuses institutions culturelles américaines : des orchestres, des ballets, des troupes théâtrales, des académies d’art plastique…

La fondation Microsoft. Créée il y a une dizaine d’années par Bill Gates, le fondateur de l’entreprise, elle se concentre sur la mise au point de vaccins pour lutter contre le développement des maladies endémiques comme le sida ou la malaria.

À noter : les fondations d’entreprise américaines participent traditionnellement au financement de nombreuses actions culturelles ou caritatives mises en œuvre sur le sol français. Au cours des dernières années, leurs aides se sont largement concentrées sur la préservation d’un certain nombre de nos monuments nationaux : le château de Versailles, la maison de Claude Monet à Giverny, l’abbaye du Mont-Saint-Michel ainsi que plusieurs demeures historiques de l’association Vieilles maisons françaises.

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